L'oikopoièse désigne,
étymologiquement un "faire maison". L'écopoétique est l'art d'inventer
et d'habiter un monde.
Oikos - Poesis
L'écopoétique, désigne, littéralement, le « faire maison », l'invention de l'habitat et, plus littéralement (οἶκος, oikos : la maison, le patrimoine) d'une unité familiale et de production agricole et artisanale.
Si l'économie est l'ensemble des règles (νόμος, nómos : règle, loi) qui régulent et permettent d'administrer la maison / l'habitat / l'organisation, et si l'écologie est la science (λόγος, logos : discours, connaissance) ayant pour objet les relations des êtres vivants (animaux, végétaux, micro-organismes, etc.) entre eux ainsi qu'avec leur habitat, si l'écosophie renvoie à la sagesse (σοφός, sophós : sagesse, savoir) de ces relations, ou éthique environnementale (le questionnement sur la place de l'homme au sein de son environnement), l'écopoétique est l'invention (ποίησις, poíêsis : création) de l'habitat, la manière d'habiter ou d'inventer un monde.
Ce terme ne doit pas être confondu avec des notions en certains points similaires : l'écogenèse, qui désigne la création d'un écosystème sur une planète non habitable mais aussi le processus par lequel des groupes humains produisent du territoire en donnant du sens à leur environnement ; et la terraformation, qui elle aussi consiste en la transformation de l'environnement naturel d'un corps céleste en vue de la rendre habitable par l'homme en réunissant les conditions nécessaires à la vie de type terrestre. Parentes, ces notions se complètent.
Ars / Art
L'art est le nom ici donné tout la fois à l'outil, aux moyens et à la manière de cette création.
Qu'est-ce à dire ?
Pour comprendre la nature de l'art, une mise en perspective s'impose... Que recouvre ce terme, fondamentalement ?
Dans la Grèce antique, le mot « art » (tekhnè) a une valeur bien particulière : il évoque avant tout la « technique », la « compétence » ou l'« habileté ». Il est une activité de production, de fabrication, et la manière (l’ensemble des règles déterminant l’opération) de cette activité ; il est un “faire”. Il y a donc un art pour toute chose : la sculpture, la charpenterie, l’agriculture, la guerre, la cuisine… Quant à la poïésis, elle est l’acte de production, “la cause qui, quelle que soit la chose considérée, fait passer celle-ci du non-être à l'être” [Platon]. Tout producteur est nécessairement poète. Tekhnè et poïésis se distinguent chez Aristote de la praxis, qui est la sphère de l’action proprement dite.
Les peintres et les sculpteurs de l'Antiquité ont acquis leur technique par l'apprentissage pratique. Bien que certains aient été admirés, ils n'étaient que des artisans, et n'avaient pas le même statut social que les poètes/chanteurs (l’aède, qui a reçu son don des dieux) ou les dramaturges, pour ne prendre ici que l'exemple de la Grèce. Si l'artiste de la Grèce ancienne manque le plus souvent de considération, c'est aussi dû à sa dévalorisation platonicienne (Platon suggérant que l’artiste qui “imite” le réel, et donc nous éloigne de la vérité, à la façon du sophiste, soit chassé de la République). Il en va de même pour l’ars dans la Rome antique : la littérature est le premier des arts, avant toute réalisation plastique, si belle soit-elle. L'éducation des jeunes romains est d'abord un apprentissage de la langue, du discours, du raisonnement et du calcul.
En conséquence, de l’Antiquité au Moyen Âge, seuls sont dignes de constituer les « arts » (majeurs) le langage et les productions de l'esprit. Les arts libéraux, activités intellectuelles (disciplines mathématiques ou ayant trait au langage) libres des contraintes liées à la matière, et donc dignes des hommes libres, s'opposent ainsi aux arts mécaniques où interviennent la main et le matériau (sculpture, peinture, travail du bois…). L’intellect contre l’artisanat. Cependant, tout en considérant les métiers comme inférieurs, on doit également reconnaître alors qu'il y a un art, c’est à dire un ensemble de moyens tendant à une fin déterminée, pour les exercer au mieux. Tout art relève donc d’un savoir-faire.
Les arts libéraux se trouvent systématisés au travers de certains écrits qui, dès le Ve siècle, les distinguent en deux groupes. Le quadrivium « (quadruple voie »), regroupait les disciplines scientifiques : l'arithmétique, la géométrie, l'astronomie et la musique. Le trivium (« triple voie »), regroupait les disciplines littéraires : la grammaire, la rhétorique, la dialectique. Il fut un temps où, en plus des sept arts libéraux, la philosophie et la médecine étaient comptées dans la liste.
Un basculement s’opérera à la fin de la Renaissance, conséquemment à une évolution de la pensée sur l’art et des théories artistiques : l’art du dessin (disegno) se hisse au sommet de la hiérarchie des arts, dans la prétention d’égaler la mathématique, outil premier de l’artiste humaniste renaissant, et revendique cette parité pour revendiquer le statut d’art libéral. S’ouvre alors le temps des Académies, la disparition de l’antique distinction des arts libéraux et mécaniques (voir à ce sujet le commentaire de Diderot et d’Alembert sur cette distinction, dans leur Encyclopédie - Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers), l’apparition des “Beaux-Arts”, et finalement du “monde” de l’art (ses expositions, ses experts, ses critiques, ses refusés, ses institutions, son marché…) tel que nous le connaissons encore en partie, aujourd’hui. L’art moderne puis l’art contemporain sont hérités de ce basculement, et ont plus que jamais cadenassé le terme d’art en le limitant, dans cet entonnoir lexical que fut l’Histoire, à une acception désormais réduite : il en est venu à désigner “la production et la jouissance d’un certain genre d’ouvrages”, comme le remarque Paul Valéry dans son éclairant texte de 1935, “Notion générale de l’art”. “On distingue aujourd’hui l’œuvre de l’art, qui peut être une fabrication ou une opération d’espèce et de but quelconques, de l’œuvre d’art”, désignant le produit des activités d’un certain “monde” de l’art.
Avec l’Invention du quotidien publié en 1980, Michel De Certeau réhabilite le sens premier de la notion. L’auteur examinait les mouvements dissimulés sous la surface du couple production-consommation, montrant que le consommateur, loin de la pure passivité à laquelle on le réduit, se livre à un ensemble d’opérations comparables à une production silencieuse et clandestine. À chacun ses arts de faire (manières d’habiter, de cuisiner ou de marcher…), défend-il. Se servir d’un objet, c’est forcément l’interpréter, et donc, à chaque occasion, produire du nouveau. Ainsi, à partir de la langue qui lui est imposée (le système de la production), le locuteur est amené à construire ses phrases propres (les actes de la vie quotidienne), se réappropriant par des micro-bricolages clandestins le dernier acte de la chaîne productive. En d’autres termes, ce qui compte réellement, c’est ce que nous faisons des éléments mis à notre disposition. Nous sommes de la sorte des « locataires » de la culture en ceci que la société est un texte dont la règle lexicale est celle de la production, activité propre aux usagers prétendument passifs. En ce sens, le point de vue de de Certeau est de mettre à jour l’existence de « mille et une manières de faire », ces ruses, tactiques et bricolages qui permettent à chacun, dans les soubassements quotidiens d’une culture habitée et consommée, de s’inventer des itinéraires singuliers, des micro-territoires de consommation, d’interprétation et de production. C’est là la force de l’usage (il en va d’une éthique de l’usage).
Le monde comme projet
L'art d'habiter ou d'inventer un monde.
Mais que comprendre et que tirer de cette notion polysémique ? « Monde ».
Du latin mundus (« ce qui est arrangé, net, pur »), le terme peut-être comparé au mot grec ancien κόσμος, cosmos, (« ce qui est arrangé, ordre »), désignant l’ordonnancement des choses, et globalement notre univers connu, organisé. Le reste n'est que chaos (ou est simplement inconnu). Le monde désigne en cela l'ensemble organisé des choses et des êtres existants (ces choses et les relations entre elles). Il est un ensemble complexe. Mais il peut aussi désigner un milieu déterminé, fonctionnant sur base de règles, de lois et de conventions propres (le monde du sport, le monde de l'art, etc.). Il peut aussi renvoyer au séjour des hommes sur le plan physique, ensemble des choses et des êtres parmi lesquels se passe notre vie (le monde dans lequel on vit), ou, plus particulièrement encore, l'imaginaire d'une personne (chacun sa représentation des choses : chacun se façonne et habite un monde en soi). Par "l'art d'habiter ou d'inventer un monde" nous entendons donc l'outil, les moyens et les manières propres à chacun dans son processus d'individuation, cette subjectivation par laquelle tout sujet se constitue un monde (le sien) et une représentation (interprétation) du monde (commun, partagé par tous), qu'il impacte, façonne, travaille de façon particulière.
Le monde devient un projet quand l'intention de l'individu est d'agencer celui-ci selon une vue déterminée. Ce projet nécessite des outils, des moyens et des manières : des arts. On ne saurait ici que donner raison à Otl Aicher (Le monde comme projet), dans son positionnement critique à l'égard des arts et du design, posant l'éternelle question de l'utilité de l'art : le design ne se résume pas à des questions d’esthétique et se doit d’intégrer une portée à la fois politique et sociale. L'artiste comme designer (celui qui dessine, au sens propre : conçoit, projette) est tenu de jouer un rôle critique, et non pas seulement de rendre le monde « de plus en plus beau et agréable à mesure que nous le détruisons ». Ainsi en va-t-il de la nécessaire utilité de l'art, aujourd'hui : par ses recherches, expérimentations et propositions, l'artiste se doit d'agir à la croisée des activités humaines avec le monde pour projet.
Shy&Sheer
Debut Album Poster
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